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Pierre Serna, Comme des bêtes. Histoire politique de l’animal en Révolution (1750-1840), Paris, Fayard, 2017, 452 p.

  • Auteur(e): Christian Legault
  • Type: Compte rendu

Extrait

Cette « histoire des invisibles, des jamais-vu », pour reprendre les mots de l’auteur, offre la possibilité de renouer avec les débats sur la citoyenneté et sur l’égalité des droits politiques. À défaut d’offrir une vision anthropomorphique – considérant l’animal comme étant avant tout une figure d’humanité – ou une perspective duale, opposant nature et culture, ce livre de Pierre Serna[1], résultat de plusieurs années de recherche, propose une réflexion d’histoire politique sur les rapports entre les hommes et les animaux. Il montre en particulier comment les seconds ont participé pleinement à la Révolution française et à l’élaboration « d’un nouveau système de classement des êtres vivants » (p. 13). En élargissant la citoyenneté à l’ensemble du corps politique, la République a-t-elle aussi envisagé le droit des bêtes –, et ce, dans une volonté d’intégrer tous les êtres vivants à la modernité politique ? Les acteurs de la Révolution – au cours de laquelle des hommes politiques vulgarisent les théories des scientifiques naturalistes – n’auraient-ils pas souhaité ce rapprochement pour postuler que l’homme incarnerait le premier animal dans la hiérarchie naturelle ? Si la République a voulu penser un projet d’égalité universelle en abolissant l’esclavage, ce désir de concevoir les hommes et les animaux ensemble « ouvre la boîte de Pandore de l’inquiétante étrangeté du même, et de l’insupportabilité pour certains » (p. 21) à accepter que tous êtres humains soient égaux sans exception. Ce qui aurait notamment conduit à des conclusions déterministes, acceptant d’envisager une proximité entre l’animal et l’homme seulement pour mieux inférioriser certains peuples par rapport à d’autres : cette rhétorique servit sous le Consulat, puis sous l’Empire, à rapprocher les Africains des singes, afin de mieux justifier le rétablissement de l’esclavage en 1802. Voilà une des thèses de l’ouvrage. Parce que certains citoyens dérangent l’ordre social, provenant d’un « milieu populaire » et ne pouvant « s’élever au-dessus de [leur] férocité constitutive et d’instincts bestiaux », il convient de les traiter comme des bêtes afin de mieux justifier la primauté de l’homme blanc occidental civilisé : « Le pauvre, le noir et la femme et, au plus bas de l’échelle, la femme noire pauvre, incarnent les paradigmes extrêmes de ces figures d’une infrahumanité, d’une sous citoyenneté, travaillant une contre-modernité née paradoxalement de la Révolution, et un vaste bouleversement et retournement complet des idéaux de 1789 et de 1792 » (p. 22).

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